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Textes Auteur(e)s Lenore
Textes hors-recueil
52. Le voile pourpre
53. Nous
Lenore
Par Lenore
Une petite condamnation à mort.
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Le voile pourpre

J’attends. Froide est la cellule dans laquelle je vis les derniers instants de ma vie. Froid est le sol de pierre sur lequel je me repose pour la dernière fois. Froides sont mes pensées qui dérivent inexorablement vers ma propre mort. Froid est le regard du geôlier, pour qui je ne suis rien d’autre qu’une once de travail supplémentaire. J’attends. Je vais mourir à l’aube.

Il ne me reste qu’une poignée de minutes avant que la sainte cloche de l’église ne sonne les cinq coups annonciateurs de ma mort. Une poignée de minutes qui s’écoulent bien trop vite. Je tremble tel un comédien appréhendant sa prestation à venir. Des ombres informes se dessinent narquoisement sur les dalles. Je jette un regard à travers l’étroite fenêtre. Le soleil se lève. J’ai si froid.

Une clef ouvre la serrure de la porte. Le geôlier entre et me toise, méprisant. Dans une totale absence de délicatesse, il m’attrape par les cheveux et me traine brutalement hors de ma cellule. Il est surprenant de constater que, malgré la brutalité de mon gardien, je ne réalise pas encore le fait que dans quelques minutes je ne serais plus. C’est comme si mon esprit refusait de concevoir la mort de mon enveloppe charnelle.

Je marche. Il avance pesamment devant moi, sans un regard vers la misérable créature que je suis. Arrivé au bout du couloir, le ciel, ensanglanté par la croissante lumière du jour, m’accueille. Cet écarlate se mêlant aux bleus rosâtres des cieux n’est que beauté. Je respire à nouveau l’air frais et vigoureux de la cours du tribunal. J’inspire à fond pour la dernière fois de ma vie, et m’avance dignement jusqu’à l’estrade sous les regards belliqueux de la foule. La potence se trouve au centre de la cour de sorte à ce que tout le monde puisse observer avidement l’agonie des condamnés. A mon passage, les gens me lancent, outre les légumes pourrissants, les insultent les plus méprisantes qui soient. Je monte sur la haute estrade, me présentant ainsi à l’ensemble des occupants de la cours.

Lorsque le bref résumé de ma vie et l’annonciation de la sentence sont finis, un prêtre vient me lire les derniers sacrements. Je n’écoute qu’à moitié ces fables où il est question de la sagesse, de la puissance et de la clémence du Seigneur. Si Dieu existe, pourquoi donc me laisse-t-il mourir ? La lecture s’achève et la foule, qui jusqu’à présent avait conservé un silence religieux, se remet à scander irrespectueusement. Le bourreau s’approche posément, sans laisser la moindre émotion transparaître. La foule clame son enthousiaste sadisme. Le bourreau saisi la corde. Tout se déroule alors comme dans un rêve, le temps étant comme ralenti par ma propre volonté d’en finir. C’est là qu’est le paradoxe : pourquoi donc le temps semble se figer lorsque nous voulons en finir au plus vite, alors que les précédentes heures – et dernières de ma vie – se sont écoulées en un clin d’œil ? Aucune importance. Les spectateurs s’impatientent et les acteurs sont en place. Le spectacle peut commencer.

La cloche sonne son premier coup. Le bourreau me passe la corde autour du coup. Point d’élégance dans ce mouvement, uniquement la répétition machinale d’un geste accompli depuis toujours. Il l’ajuste professionnellement à mon coup, et s’éloigne nonchalamment en direction du funeste levier actionnant la trappe située sous mes pieds.

Un second coup résonne dans mes oreilles. Le prêtre réapparait devant moi et me regarde droit dans les yeux comme s’il voulait avoir la certitude que mon exécution a bien lieu d’être. J’ai l’étrange impression qu’il s’intéresse à moi. Ce brave homme n’aurait-il donc pu se manifester plus tôt ? Etrange que ce soit lui qui me fasse réaliser que ma fin est proche. La dure réalité qui me frappe alors de plein fouet, me recouvrant de sa noirceur. Je vais mourir !

Alors que la cloche sonne une troisième fois, l’ecclésiaste se signe, puis se détourne, dissimulant avec peine le mépris qu’il éprouve à mon égard. Une fenêtre s’ouvre en moi. Ma mort y entre. Elle me parait tendre et douce. Je l’accepte.

Quatrième coup. Je souris de mon innocence. Justice ne sera sûrement jamais faite pour celui qui est à l’origine de cette conspiration. Je n’en ai cure. Je présume que lorsque l’on est mort, tout ce qui se passe ici-bas n’est plus qu’une vulgaire pièce de théâtre entièrement dénuée d’intérêt. Serait-il possible que la vie ne soit qu’une farce ? Une splendide imposture dans laquelle nous errons, aveugles et ignorants ? La mienne m’avait jusqu’à présent paru comme une pièce d’opéra, avec ses plaisirs – aussi peu nombreux soient-ils – et ses déceptions, mais aussi ses rebondissements et ses victoires pour finir tragiquement sur une mort aussi injuste que prématurée. Mais, selon vous, qu’est-ce qu’un opéra ? N’est-ce point une simple mise en scène de plus, dont les acteurs, encadrés de tentures rouges comme le sang, ne servent qu’à divertir de bien plus riches et puissantes personnes, dont les distractions ne serons jamais à leur portée ?

Cinquième et dernier coup de cloche. Je ferme les yeux. Un levier s’abaisse, une trappe s’ouvre. Une nuque se brise sous les applaudissements de la foule.

Fin du spectacle.

Rideau.

J’ouvre les yeux.

Je suis vêtu d’un costume impeccable et suis rasé de près.

Ma nuque est intacte.

Je me trouve au centre d’un vaste amphithéâtre romain.

Nulle décoration excentrique ne vient perturber la parfaite harmonie de la simplicité de cette architecture.

Nul élément perturbateur ne souille ce lieu béni de sa présence.

A l’exception d’une tenture couleur sang, étalée aux pieds d’un trône d’obsidienne.

Sur ce trône se tien un être parfait.

Son visage est d’une beauté pure, simple.

C’est une femme.

Sa robe – autrefois somptueuse – la couvre misérablement. Détail amusant : le style de la robe est parfaitement accordé à mon nouvel habit, démodé pour l’époque d’où je viens.

Sa peau, à l’instar de sa chevelure, est d’une blancheur dérangeante.

Et ses yeux – oh ces yeux – sont à la fois terrifiants et fascinants. Ils sont bleus. Bleu sang.

Souriant, je m’avance vers Dieu.

Il nous regarde avec une affreuse bienveillance, moi et ma pieuse vie. Il tient de la main droite les restes des ficelles de l’humanité, vestiges des glorieux temps où les hommes avaient un Dieu à adorer.

Je le regarde avec pitié.

Ce Dieu est usé, magnifique et déçu de son humanité, qu’il avait pourtant tant aimé.

Ce Dieu est comme les misérables humains qui pullulent sur Terre. Il a perdu la foi.

Ce Dieu est mort.

Il est aveugle.

Toujours souriant, je m’approche encore.

Combien sont-ils à avoir tenté ce que je m’apprête à faire ?

Combien seulement sont-ils parvenus jusqu’ici ?

Combien ont-ils réussi ?

Tout est silencieux. Mes pas résonnent silencieusement, tandis que le vent s’engouffre silencieusement dans l’amphithéâtre.

Je regarde en moi, et vois que mon cœur est noir.

Tout ce passe alors comme dans un rêve.

Je jette Dieu en bas de son sombre trône.

Je prends sa place sur la noire pierre.

Je m’empare des fragiles ficelles que mon prédécesseur tenait délicatement.

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Commentaires (6)

Jean-Mi
Posté par
le 20/08/2010
"Si Dieu existait réellement, il faudrait le faire disparaître." (Bakounine)

Merci de ta visite et bonne journée.

Jean-Mi
Lenore
Posté par
le 20/08/2010
Ou le remplacer =D
Posté par
le 20/08/2010
Et que comptes-tu faire avec les fragiles ficelles de l'humanité? Si c'est Dieu s'est usé à ce boulot... T'as peur de rien ! 😊
Lenore
Posté par
le 20/08/2010
Alors ça, c'est au choix du lecteur. A vous de choisir.
Posté par
le 20/08/2010
Dieu entend t'il le voile poupre?

Lenore
Posté par
le 20/08/2010
Hein ? ^_^
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