Aujourd’hui, je m’adresse à vous, lecteurs.
Vous dont les yeux suivent ces lignes, à la fois surpris, amusé et exaspéré que je parle de vous. Que je vous parle.
Vous qui avez la patience ou l’inexplicable envie de me lire.
Vous que j’aime.
Car, oui, je vous aime. J’aime le fait que vous me lisez, que vous critiquiez mes écrits. J’aime cette intime et impalpable relation que j’entretiens avec vous. J’aime vos yeux invisibles qui tentent de m’analyser. J’aime la décence dont vous ferez preuve en finissant de lire cet écrit. Vous les lecteurs, je vous aime.
Oui, vous, mes lecteurs, je vous hais. Je hais les fausses idées dénuées d’intérêt que vous vous faites à mon sujet. Je hais cette exaspérante habitude qu’on certains d’entre vous à vouloir sans cesse analyser mes textes à la recherches de métaphores ou autres figures de styles. Je vous hais car vous ne vous contentez pas de lire pour votre plaisir, vous ne vous contentez pas de rêver. Je hais le fait que vous me lisiez en ce moment même, car ce que j’écris là n’est en aucun cas fait pour vous faire plaisir ou vous faire rêver. Je hais votre paresse, qui vous pousse à vous rassurer de votre misérable existence en lisant et en comparant les malheurs des autres.
Je hais votre vulgaire et primitive façon de vous vider de votre colère, en frappant les autres verbalement ou physiquement, alors qu’il vous suffirait d’écrire pour vous assainir. Je hais l’hypocrite indignation qui s’empare de certains d’entre vous en me lisant. Je hais l’hypocrisie. Quoi de plus répandu dans notre société actuelle que l’hypocrisie ? Rien, si ce n’est l’égoïsme. Et vous, ces lecteurs que j’aime, je vous hais pour votre hypocrisie et pour votre fainéantise.
Je hais ces propos que je tiens, et que je sais erronés pour certains d’entre vous.
Mais au fond, mes lecteurs, je vous envie. J’envie l’imbécillité bienheureuse qui vous caractérise. J’envie votre aptitude à ignorer votre propre stupidité. J’envie vos vies futiles et la facilité avec laquelle vous pouvez vous soumettre. J’envie ce courage que vous avez pour aller tabasser un de vos semblables. J’envie cette insouciance qui peut vous faire sortir de vos gonds. J’envie cette absence de lâcheté dont vous faites preuve, lâcheté dont je suis saturé.
Lâcheté qui me pousse à agir ainsi.
Qui me pousse à écrire.
Et donc à me débarrasser fictivement de mes problèmes, sans oser les affronter comme ils le mériteraient.
Contrairement à vous.
Et c’est pourquoi je vous aime.
Commentaires (13)
"(...)Dans la ménagerie infâme de nos vices, / Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde! / Il ferait volontiers de la terre un débris / Et dans un bâillement avalerait le monde; / C'est l'Ennui!- l'oeil chargé d'un pleur involontaire, / Il rêve d'échafaud en fumant son houka. / Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, / - Hypocrite lecteur,- mon semblable,- mon frère!" (BAUDELAIRE)
" Critique qui fait l'esprit fort / En matière de fouterie, / Ne t'étonne pas, je te prie, / De trouver foutre ici d'abord. / J'aimerais mieux mourir de rage / Que d'avoir, dedans mon ouvrage, / Malicieusement laissé / Aucun mauvais exemple à suivre, / Mais puisque nos aïeux, pour nous faire survivre, / Ont foutre sur foutre entassé, / Je puis bien commencer mon livre / Par où le monde a commencé." (CLAUDE LE PETIT, brûlé en 1662 en place de Grève, à l'âge de 23 ans, pour avoir écrit "Le bordel des muses").
Ces deux adresses au(x) lecteur(s) me semblent exemplaires. Tout texte publié n'appartient plus à l'auteur mais au domaine public, c'est dire que seul le lecteur en dispose selon sa culture, ses goûts, son caprice... Les "avertissements" de l'auteur ne peuvent rien d'autre qu'être parfois beaux.
Tout a déjà été dit, mais chaque être humain a sa perception singulière de ce "tout", c'est-à-dire son style: "Dieu reconnaîtra les siens, au style, seulement au style.", dit mon ami Alain Simon, lequel est parfaitement athée et peu suspect de sympathie pour Arnaud Amaury, légat du pape, qui ordonna: "Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens."
Et je trouve les tiennes bien tournées =)
Merci, toutefois pour ta réponse à ma question 😊
commentaire
Vaut-il mieux vivre sa vie de en ayant conscience de ces drames et en se posant de douloureuses question, ou mieux vaut-il rester stupide et ignorant ?