Le vieux marin
On voyait qu’il avait servi dans la marine,
Ridé et peau tannée, comme un vieux parchemin,
De grands yeux noirs de jais et de grosses narines,
Oreilles en chou-fleur, comme quand les gamins
Jouent aux grimaces en les pliant de leurs mains.
Il habitait tout seul, dans une pièce unique,
Un quartier mal famé, on ne peut le nier.
Vieillir, c’est espérer toujours quelqu’un. Bernique !
Enfants loin, occupés, ingrats ou casaniers,
Il ne s’en plaignait pas, sans esprit rancunier.
On arrivait chez lui, au dernier étage,
Par l’escalier étroit, aux murs gris décrépis.
Tout avait besoin d’un sérieux décrottage.
Dès l’entrée, des odeurs de rance et d’eau croupie
Vous agressaient le nez, sans le moindre répit.
La lumière entrait par la porte-fenêtre,
Ouvrant sur la terrasse, dallée de vieux carreaux.
De là, on admirait les rues qui s’enchevêtrent,
Des toits pour horizon, et en bas, le bistrot
Où jouaient au rami voyous et maquereaux.
Il était vieux. A ma dernière visite,
Je l’ai trouvé couché sur un vieux lit de fer.
Sur l’évier encombré couraient des parasites.
Quatre ou cinq mois plus tard, il quittait son enfer
Pour aller chez un fils. Il n’a pas trop souffert
Quand il s’est endormi, un long soir d’agonie.
Il était mon grand-père et je l’ai peu connu.
Il me reste de lui quelques photos jaunies.
La rue n’existe plus. Quand je suis revenu
Là-bas, trente ans plus tard, je n’ai rien reconnu.
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