étourderie
L'étourdi est un être fragile. Il fond dans le grand jour. Il confond son âme et sa perruque. C'est le chauve absolu.
Il égare son regard, oublie ses yeux dans le gris écarquillé; la nuit est sa blancheur de secours.
Aussi se respire-t-il nocturne irrémédiable; quand minuit frappe à toutes ses portes, sortir s'impose. Il marche. Son crâne lisse aimante le ciel. Autour d'une calvitie picotée d'étoiles, les billes de vertige criblent la ville au rythme des semelles à vif.
Ses pas s'émiettent dans le souterrain sous la gare, là où traînent canettes, vieux mégots, épuisements mélancoliques, indices, preuves, alibis jetés de justesse.
Dans la rue de la Plaine, il croise toujours la même jeune fille tremblant dans la pâleur. Pourquoi se méfie-t-elle quand il offre son aide? Pourquoi refuse-t-elle? Elle sait très bien pourtant qu'à cette heure, toujours, il lui pardonne.
Soyons précis, précis mais brumeux, car tel renaît le petit pont au-dessus du canal. Ne renonçons pas aux filatures, même réduites à une silhouette allusive. On ne perd ni des yeux ni des mots le corps estompé de franchir, franchir les sommeils qui abreuvent l'étang, franchir la peur et la carpe, franchir les pas des temps boiteux.
L'étourdi peut ainsi hâter une présence assez visible. On le remarque saluant la statue du grand Grillon érigée à la mémoire des genoux blessés; on l'aperçoit au bras d'une femme ivre encombrée de lunes sèches; elle hurle, chiale et chante, ses blasphèmes allument une à une les chambres timorées. On le suit dans le dédale pluvieux entre les cathédrales; les venelles sinuent d'indémêlables fugues; l'étourdi sifflote toutes les coïncidences, les notes entre ses lèvres prolongent celles du pavé. On est tenté de le croire enfin libre.
Enfin libre.
C'est alors que l'aube ose un massacre d'or et mauve. Elle se sait tout permis parce que, déjà, l'étourdi pense à autre chose.
commentaire