Dante, n° 160 054©Ce texte est protégé par un copyright.
Conversation enregistrée par Sight Corporation.
Type de document : confidentiel.
Lieu : salle de consultation.
Date : 21 sept. 2367.
Heure : 16h 37min.
Outil de conversation : Cassandra 74.
Client n° 160 054.
Nom : Dante Achman.
Age : 3 mois.
Signes particuliers : néants.
Tuteur du client : père de Dante Achman.
Nom : Octave Achman
Age : 31 ans
Signes particuliers : néant
Note du Docteur Charles Nandra :
Après 8 ans d’activité, l’entreprise Sight Corporation est à présent leader dans son domaine. J’entends bien évidemment par là qu’aucune autre organisation ne propose de service de prédiction plus fiable et sans risque. Cette entreprise s’est développée dans 58 pays et a aujourd’hui dépassé les deux milliards de clients, soient près 18% de la population mondiale.
Pour ceux qui l’ignoreraient, la prédiction est un outil technologique, inventé en 2356 par le Docteur Cassandra Howl, dont le prénom est à présent attribué à l’ordinateur chargé de procéder à la consultation. La prédiction, donc, est un outil permettant de lire et d’analyser l’avenir de tout humain qui le souhaite, avec une certitude de 98,96%.
Depuis le 23ème siècle, nous avons en effet la possibilité de recenser toutes les données concernant un être humain, ainsi que celles de ses ancêtres sur plus de 20 générations, sachant que 5 générations sont nécessaires pour procéder à une consultation. Ces prédictions sont entièrement basées sur l’analyse du comportement de l’humain et de ses ancêtres, ainsi que sur ceux de toute personne amenée à rencontrer le client au cours de sa vie, et qui ainsi modifiera ses actions. Comme la loi nous l’oblige, nos consultations son totalement impartiales.
- …
- Bonjour M. Achman.
- Où suis-je ?
- Vous êtes dans la salle de consultation. Vous venez de vous réveiller, suite à un sommeil artificiel de deux heures et huit minutes.
- …
- Vous allez mettre quelques instants à retrouver vos esprit : ne vous inquiétez pas, c’est parfaitement normal. Nous allons bientôt commencer la consultation de votre fils.
- Très bien. Vous pouvez commencer tout de suite.
- Êtes-vous bien installé ?
- Oui.
- Nous allons éteindre les lumières pendant la durée de la consultation afin que vous puissiez suivre le déroulement de la vie de votre fils sans être gêné par l’environnement extérieur. Souhaiteriez-vous entendre les détails, M. Achman, ou préférez-vous que nous nous focalisions sur les grandes lignes ?
- Uniquement les grandes lignes je vous prie. Je n’ai pas envie de perdre le loisir d’être surpris par mon fils.
- Nous pouvons commencer. L’enfance de votre fils se déroulera sans problème particulier. Il apprendra à marcher plus tôt que la plupart des nouveaux nés, mais tardera un peu pour parler. Tout sera parfaitement normal jusqu’à l’âge de cinq ans. C’est à cinq ans que se produira le plus grand bouleversement de sa vie. Souhaitez-vous le connaitre ?
- Devrai-je répondre « non » ?
- C’est en effet ce que je vous conseille.
- Est-ce important ?
- Oui.
- Dans ce cas, je voudrais savoir de quoi il s’agit.
- Lorsque votre fils aura cinq ans, vous serez renversé par un automobiliste.
- Comment pouvez-vous me prédire une telle chose ?
- Je me suis permis d’assembler les informations concernant directement votre fils ainsi que celles de toutes les personnes qui influeront inconsciemment sur son existence. Vous serez renversé par un homme dont la loi m’interdit de vous révéler le nom, qui aura pris le volant dans un état non approprié à la conduite. En effet, lors de l’incident, il sera en train de se moucher, et ne vous verra pas traverser la route. Il se mouchera à ce moment là parce qu’il aura attrapé un rhume, rhume qu’il aura attrapé suite à un courant d’air, lui-même dû à l’arrivée de son fils de 14 ans ouvrant la porte de sa maison et qui sera rentré en courant pour annoncer à ses parents qu’il aura enfin réussit à décrocher une bonne note en mathématiques. Il faut dire qu’il aura travaillé dur pour y parvenir, mais il…
- Il suffit. Je ne veux pas en entendre d’avantage.
- Vous devriez pourtant.
- Non. Continuez sur la vie de mon fils.
- Très bien. Votre femme sera désespérée, se droguera et commencera à battre votre fils. Il vivra alors dans la terreur et la solitude, sa mère lui interdisant de voir ses amis. C’est à treize ans que votre enfant assassinera sa mère avec un couteau de cuisine. Il vivra alors dans la misère, mendiant pour parvenir à se nourrir, et finira par tomber gravement malade. Il survivra alors quatre mois et sept jours, puis mourra, seul et mortifié.
- Je ne puis le permettre.
- Vous pouvez toutefois l’empêcher.
- Comment cela ?
- Votre fils a moins de cinq mois et la loi autorise donc, dans ce cas, à l’euthanasier. Il ne vivra pas, mais ne souffrira pas.
- Vous me demandez d’assassiner mon propre fils ?
- Oui. Et je sais pertinemment que vous allez accepter, puisque vous l’avez déjà fait.
- Comment cela ?
- En vérité, je vous ai menti. Tout ce que je vous ai raconté est faux, puisque cette conversation va aboutir sur sa mort, aujourd’hui même.
- Mais pourquoi accepterais-je de faire une telle chose ? Il est tout pour moi !
- Je vous l’ai dit, vous l’avez déjà fait. En venant à cette réunion, vous avez grandement influencé la vie de votre enfant. Parmi l’enchainement de causes qui aboutiront à votre accident – et donc à la triste mort de votre fils – se trouvent les paroles que nous venons tous deux de prononcer.
- Vous voulez dire que si je n’étais pas venu, ou que si j’avais reporté le rendez-vous à un autre jour, je n’aurai pas cet accident ?
- C’est exact. Mais ne vous blâmez pas, votre présence ici et les paroles que vous avez prononcées n’auraient pu être différentes. Je les avais également devinées. En vérité, le réel coupable de cette suite d’évènements, c’est moi. C’est moi qui, en toute connaissance de cause, ai prononcé ces paroles, qui auront engendré la réaction que vous avez eue, ainsi que l’heure à laquelle vous sortirez de ce bâtiment et l’état dans lequel vous déambulerez. Causes, bien évidemment, de l’enchaînement d’évènements qui vous tueront. Mais vous ne pourrez le changer, vous n’avez pas connaissance de l’heure ou l’état propices à cette réaction en chaîne, et vous ne pourrez donc pas les éviter. Votre esprit tentera certes de tout faire pour être imprévisible, c’est imprévisibilité même aura été déterminée. Mais, bien évidemment, ceci n’arrivera pas, puisque vous allez ce soir donner l’autorisation d’euthanasier votre fils.
- N’y avait-il donc pas d’autres solutions ?
- Bien sûr que si, mais pas avec mes présentes paroles.
- Et tout ce que je suis en train de dire, vous l’aviez prévu ?
- Bien sûr. C’est ce qui rend la qualité de notre service si exceptionnelle.
- …
- Je suis toutefois dans l’obligation de vous poser la question : devons-nous tuer Dante, ou le laisser vivre et souffrir ?
- …
- Vous devez répondre, M. Achman.
- Je… oui, je vous permets de le… je vous y autorise.
- Très bien, M. Achman. La consultation est terminée. Veuillez sortir par la porte à votre gauche et dire au numéro 160 055 que c’est à lui. Si cela peut vous être d’un quelconque réconfort, sachez que vous et votre femme vous suiciderez dans trois jours.
- Faites-vous partie des causes de notre suicide ?
- Oui.
- Je vous en remercie.
- Mais de rien. Passez une agréable soirée, Monsieur Achman.
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