à jamais
1
J'avais quinze ans quand, d'un putsch éclair entre mes tempes, tu pris ta part de pouvoir dans mon naufrage corps et Mal, chair et nuit, noyade et jour infiniment. Moi dont l'utopie caressante n'avait alors conçu qu'un avenir de femme aux seins majeurs, je fus crevé en plein centre, baïonnette limpide, petit regard qu'attise ce risqué sourire, mobile des crimes intimes tremblant de mentir la légitime défense.
2
grâce soudaine de ce frêle féminin qui perfore les cécités, de la séduction éclairant ses premières syllabes, ses esquisses de danse se sachant vertige peu à peu. Enfin j'ai vu. Il s'agissait bien de la beauté. Elle boit à sa source pour aggraver ma soif.
3
Ainsi je devins mirages dans le désert de Jamais, ainsi je surpeuple l'impossible. J'avais quinze ans, tu en danses douze en courte jupe ; ton Bonjour la soulève, complicité des patins à roulettes, de l'arrêt en toupie pour la révélation des jambes dont l'a-peine de duvet blond fanatise le lisse, dont l'impudeur s'envenime de visage pur.
4
Innocence des grands yeux où pourtant, où fugace, l'équivoque ironise le bleu ; de la voix où le doux exagère mon prénom, de l'haleine trop proche qui chuchote la mienne au risque de buée d'âmes.
5
Je suis assis dans l'herbe. Ton approche se veut au-dessus des pas ; Qui c'est ? Tes doigts fondent mes paupières, ils ignorent poser la question définitive, tandis que tes cheveux frôlent mes joues et ma rage sans défenses. Tu sens le matin, le savon transpercé de désir, désir affolé d'être vague, d'être vaguement ce jeu incandescent de se jouer.
6
J'ai quinze ans. Brusquement le spectre amoureux irise des temps insoupçonnés corps. Vous serez désormais adorables du premier au dernier sang. Vaste monde. Vaste chant Vaste manque.
7
La honte ne s'imposa pas trop : je m'étais si bien déjoué les complots qu'il fut certain qu'aux plages de mes seules îles désertes s'échoueraient les orgies naufragées.
Les cartes, la géographie inhumaine, merveilleuse, les latitudes, les courants pervers ne sinuent qu'en mes rétines. Ouvrir, fermer, ouvrir, fermer les paupières suffit. Nous suffit. Vous ne pourrez pas nous trouver, nous prouver.
Nous : flagrant délit absolument privé.
8
Je sais bien que je t'invente, la multitude de toi est mon eau, mon argile et mon souffle ; je sais bien que tu n'existes telle qu'en nous-mêmes, telle qu'en elles-mêmes notre ébloui les change : ta présence me condense les petites inconnues dont le regard ne put que jeter un sucre à ma lumière ; il fond à l'infini dans tes salives. Mais aussi clair tu murmures celles dont la musique de gestes fins étranglent l'invisible, celles dont le prénom m'entêtent son temps : l'âge d'enfer mélodieux.
9
Notre âge n'obéit pas. J'avais vingt ans, tu en dansais douze. Tu les danseras à jamais, quels que soient mes sédiments. J'avais vingt ans. Chaque jour tu trouvais le bout des doigts d'où me souffler un baiser sans pénombre. Il voltige. Ma fourbe indifférence l'abandonne à la légère. Tu es si jeune. Tu ignores le mot gageure. Ta meilleure amie a parié que tu n'oserais pas, à l'heure du bisou d'adieux, chaparder mes lèvres. Tu osas. J'esquivai in extremis. Depuis, je suis la risée des regrets éternels.
10
De temps en temps j'avais cent ans, puis j'avais l'âge flottant, l'age du cœur taillé, j'avais juste à temps, je ne fais pas ton âge, j'ai à jamais : seul attentat à la pudeur, mon crime relève des juridictions évanescentes. Elles ne jugent qu'en appel – toujours en appel – afin qu'en ta nudité soit belle l'impatience de mon éternel recours en grâce.
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