Sur un air de Pachelbel.
A celles et ceux qui voudraient, un instant, s'asseoir sur la moquette mouchetée avec la petite fille que j'étais... Surtout ne regardez pas les images, fermez simplement les yeux ou laissez-les parcourir le texte au son des violons...
A Sidna, en ré Majeur...
Quel âge avais-je donc ? Je ne m'en souviens plus. Le temps passe et puis plouf, on se replonge en lui. J'avais donc cet âge et, plus fort que moi, je ne voulais plus entendre.
Assise sur la moquette de bouclettes beiges mouchetées, ma petite main titillait la molette du son. Juste là, dans les baffles, un trente-trois tours grésillait doucement. Le Canon en ré Majeur pour 3 Violons de Johann Pachelbel... une vraie merveille. Il suffisait, me semblait-il, de coller mes oreilles aux baffles et de pousser le volume à son maximum et ce serait bon ; je goûterais à jamais à ce si merveilleux silence qui m'enlaçait déjà la nuit dans mes rêves.
Sans doute était-ce l'envie innocente de s'extraire du brouhaha de la vie ; une manière à moi de penser que, sans bruit, je distinguerais mieux les couleurs. La vie haute en images, un arc en ciel sans parasites auditifs, un paradis sur terre... Avais-je une raison de désirer ce silence ? Pas plus qu'un autre. Mes doigts jouaient, roulaient, s'enroulaient, hésitant... Haut, bas... Les basses m'intriguaient elles-aussi. J'avais l'impression qu'avec elles, je ne parviendrai jamais à mon silence.
Combien de fois suis-je revenue à cette moquette, à ce Canon, à cette molette ? Je ne m'en souviens plus. Le temps passe et puis plouf, les détails se fondent dans les reflets de la mémoire. Je suis donc revenue, revenue tant de fois. Est-ce la puissante douceur de ce Canon en ré majeur que j'aimais tant qui m'empêcha d'exécuter ce rêve de coton ? Est-ce un doute plus profond ? Un intime questionnement ?
La petite molette noire est restée à sa place.
Des années plus tard, j'ai fait un voyage. Vous dire quand, je ne m'en souviens plus. Le temps passe et puis plouf, tout coule ; seuls remontent à la surface les plus précieux souvenirs. Au milieu du désert, au bout d'une oasis très différente de celles que j'avais pu rêver ou lire dans leurs contes, dans une petite pièce sombre d'une maison de pisé, bien loin du brouhaha de la ville et des paroles futiles, je me suis agenouillée. Je me suis agenouillée et il a pris ma main dans la sienne.
Silence.
Et puis quelques mots, dans une langue qui m'était inconnue... Prières.
Et je suis ressortie.
Tout est devenu clair. Tout ! Qu'est-ce que l'ouïe ? Je ne sais plus.
L'important, c'est le cœur.
L'important c'est le laver, le poncer, le lustrer jusqu'à ce qu'il ne fasse plus qu'un avec le ciel... Alors seulement, les petites manettes, les petites molettes, et puis la moquette... n'ont plus de secrets pour personne. Le cœur contrôle, telle la vanne d'un barrage, le débit des pensées et des mots, et clos les écoutilles aux paroles futiles.
Voilà ce qu'en quelques secondes, un homme m'a appris. Les couleurs ne seront pas plus vives sans bruit ; mais elles seront toujours ternes si le cœur est poisseux.
Apprendre que les mots retenus entre nos lèvres demeurent nos esclaves lorsque ceux que l'on prononce nous prennent en esclavage. Apprendre à peser les mots. Apprendre à entendre : n'entendre que les choses qui nous mènent au ciel.
Commentaires (10)
la musique est de qualité egalement
Amitiés
J'ai noté en particulier ces 2 passages qui sont pour moi plein de force :
Le temps passe et puis plouf, tout coule ; seuls remontent à la surface les plus précieux souvenirs.
L'important, c'est le cœur.
L'important c'est le laver, le poncer, le lustrer jusqu'à ce qu'il ne fasse plus qu'un avec le ciel.
Bonne route à vous !
Roger
Je n'ai pas pu le lire d'un seul coup tellemnt j'ai les larmes aux yeux.
Ne lire que des mots qui mènent au ciel, comme les vôtres.
Un texte bouleversant et magnifique.
Merci à vous.
Le coeur est merveilleux"
Yves Martin
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