Chrysocolle
Je déteste le bleu. Bleu, l'océan qui me séparera de toi. Et ton île, Australie, ma nouvelle terre natale.
Plutôt qu'un grossier saphir ou qu'une énorme émeraude, j'avais voulu pour ton collier faire sertir un chrysocolle. Celui que nous avions extrait nous-même, ce soir de bonheur au bord de l'eau. Il affleurait d'un rocher, prêt à éclore. Quelques coups de lime suffirent.
Petit-fils de minéralogiste, je l'identifiai aussitôt : un chrysocolle. Une pierre plus que semi-précieuse : semi-précise : tu la voyais bleue et moi verte (sont-ce encore nos couleurs préférées ?).
Quand nous prononcions CHRYSOCOLLE, tu entendais Crisix et moi Nicole. Cette pierre - mieux que le cristal - cristallisait nos destins, jadis séparés.
Enveloppé dans un tissu, nous l'escortâmes jusqu'au joailler. À ta vue, ce dernier ne se sentit plus de joie. Et qu'il a vu tous tes films, et qu'il est acteur à ses heures, et qu'il nous invite en arrière-boutique, son antre. Entre nous, il t'accapara. Pudiquement, il transféra son béguin pour toi vers Tom Cruise, son modèle. Quel acteur ! Il ignorait juste que tu n'étais plus son épouse depuis 2001 (ou alors, simple déni de sa part ?). Il ne tourna la tête vers moi que pour commettre un second impair, me prenant pour ton fils ! À cause de nos yeux identiques ? De nos âges éloignés ? Sémillant et sans complexe, il s'autorisa à mon égard une boutade à base de "kid" et de "man". Je la compris aussitôt, l'anglais est nouvellement ma langue maternelle. J'approchais de le détester mais tu lui souris, d'un air poli. Il examina alors CHRYSOCOLLE, notre joyau. Sous la grosse lampe à lumière noire, le vert était resté noir. Déconcentré par ton charme, le joailler ne put contenir un "blue like your eyes..." chuchoté. Je me souviens de ton silence, glaçant. Pour se rattraper de sa privauté, le roublard murmura alors - noyant cette dernière dans une anaphore - "blue like the ocean...".
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