David
David. Un nom aussi simple que la personne qui le portait. Quand on perd une personne qui nous est chère, nous nous rappelons des moments bons et moins bons que nous avons passé avec elle. Au départ, les bons moments sont les seuls à ressortir. On dit souvent que la première phase du deuil est le déni. Pour moi, cela a été le cas… et pendant longtemps. Parfois même, aujourd’hui, je me dis « il est au travail, je le verrai plus tard ». Et tout le temps, quand je pense à lui, je ressens un terrible vide. J’ai envie d’aller le voir, puis je me rappelle que ce n’est plus possible.
Quand je l’ai connu, il vivait à la Ferté-Massé, dans l’Orne. Puis, il s’est rapproché rue d’Auge à Caen, au 161. Aujourd’hui, il est encore plus près, mais beaucoup moins disponible : il se trouve au cimetière nord-est de Caen, au bout de ma rue.
Le jour de notre rencontre, en début de semaine, en octobre 2011, je raccompagnais un ami à la gare de Caen. Nous étions en retard, il s’est mis à courir pour ne pas rater son train. Je l’ai suivi à distance, après le pont de la gare sur lequel passe les trains, j’ai aperçu un homme qui portait tout un barda. Ce fut la première fois que je posais les yeux sur David. Une fois que mon ami eu pris son train, je fis demi-tour pour me rendre à la fac.
J’étais alors en première année de géographie et une amie m’attendait aux alentours de 9h30 afin de travailler sur un dossier ensemble. C’était le début de ma vie à Caen et je logeais dans un petit studio neuf.
Je marchais donc, vêtue d’un imperméable blanc, le long des lignes de tram. Je suis repassée devant lui, sans lui prêter une réelle attention. Je n’ai vu qu’il s’était mis à me suivre que lorsque j’entendis ces mots :
« Mademoiselle, excusez-moi … Vous auriez l’heure ?
– 9h12 », lui répondis-je en regardant ma montre.
Je ne sais pas pourquoi je me souviens exactement de cette heure, mais ce fut les premiers mots qu’on échangea, sans savoir où ils nous mèneraient. Je commençais à me retourner pour partir, mais il décida de continuer à parler. Ce moment est lointain, alors difficile de se rappeler tout ce que nous sommes dit le long de l’avenue du Six Juin. Je me souviens qu’au croisement de la rue Guilbert, il m’a dit son âge : « J’ai trente ans ». Je me suis arrêtée, ai souri, l’ai regardé, puis j’ai répété son âge de peur d’avoir mal entendu. Non, non, il avait bien trente ans, alors que moi j’en avais que 19. Nous avons repris notre chemin, il ne savait pas trop quoi faire. Il était arrivé un peu tôt sur Caen et devait voir des amis. Il en a profité pour faire un bout de chemin avec moi. Arrivé sur les pentes du château, il m’a laissé, mais avant de me quitter, il m’a demandé mon numéro de téléphone et m’a dit « Qu’est-ce que tu fais si je t’embrasse ? ». Je n’ai pas eu le temps de lui répondre (je n’aurai pas sût quoi lui répondre de toute manière), qu’il avait déjà posé ses lèvres sur les miennes. Sous ce temps normand, légèrement pluvieux, ce fut un moment très agréable et en même temps inattendu et surprenant. Nous partîmes chacun de notre côté avec l’espoir de se revoir…
Rapidement, nous échangeâmes de nombreux SMS, malgré un début difficile, car nos portables avaient tous deux bloqués nos numéros respectifs. Nous n’avons pas compris pourquoi, mais malgré cela nous avons pu nous revoir. Je lui avais donné rendez-vous sur le port. Un lieu où il est aisé de se retrouver. Il est arrivé avec son gros sac dans lequel était coincé une couverture. Nous nous sommes installés à la terrasse du café L’Univers, juste dans l’angle de la rue. Il a pris un café et a fumé sa cigarette. Il me raconta sa vie, son année passée dans la rue. Ce moment dont il a profité pour « bouger » de ville en ville, il est allé jusqu’en Bretagne sans moyens. Il m’a dis qu’il refusait l’aide de sa famille, il voulait s’en sortir seul. Il me parla de son ancienne compagne, qu’il connaissait depuis ces seize ans, et de sa fille Zoé, qu’il aimait plus que tout. Nous nous sommes promené dans la ville, sur le port, à la prairie, … en continuant notre discussion. Sur le chemin, nous avons rencontré ses anciens camarades de rue. Ils avaient l’air d’y être encore. Ils me regardaient d’un air lubrique, mais David veillait. Après avoir demandé une cigarette à une dame, nous nous sommes assis sur la promenade entre l’Orne et l’Hippodrome. Là, il a sorti de son portefeuille une photo de sa fille, derrière laquelle il cachait une petite boulette d’héroïne. Il m’a demandé si ça me gênait qu’il fasse ça et je lui ai répondu qu’il faisait se qu’il voulait, je n’avais pas à lui reprocher, et encore moins depuis que je connaissais son passé. Il aimait le fait que je le laisse faire.
Une autre fois où nous nous sommes vu, c’était en hiver, les décorations roses et blanches de la ville pour Noël illuminaient les arbres près de l’église Saint-Pierre. Les bijouteries en face, fermaient une à une pour la nuit. Les rideaux se baissaient, les vendeuses faisaient le ménage et rentraient les petits sapins à l’intérieur. La lumière restait allumée pour permettre aux promeneurs tardifs de s’émerveiller devant leurs vitrines. Je me souviens d’avoir observé cette activité pendant longtemps, il me semble pouvoir le compter en heure. Le banc sur lequel je m’étais installé était en pierre, et donc très froid. On s’était donné rendez-vous là, mais il était en retard. Il m’a prévenu et je lui ai dit que j’attendrai. J’étais patiente. Quand il est enfin arrivé, il s’est profondément excusé, il était chez sa mère, près du port et il devait coucher sa fille. Le soir venu, il m’a demandé s’il pouvait dormir chez moi, car il ne voulait pas réveiller sa fille en rentrant. J’ai accepté, une fois dans mon studio, il a fumé sa drogue habituelle, à l’aide d’une feuille de papier aluminium. Nous nous sommes couché, puis on s’est endormi. Il dormait profondément, il était bien, mais il ronflait. Il se réveillait de temps en temps pour s’en excuser, m’embrassait et se rendormait aussitôt. Je n’ai pas dormi cette nuit-là. Le lendemain, je devais aller en cours, pour le réveiller, j’ai ouvert la fenêtre : très bonne technique. Il me demanda s’il pouvait rester jusqu’à mon retour, mais j’ai refusé. Il déposa deux pièces de 50 centimes sur mon meuble pour que je puisse laver mon linge.
En été 2013, j’ai enfin accepté d’être sa nouvelle copine. Après deux ans d’attente pour lui et une grande hésitation de ma part, à cause de la différence d’âge et de sa situation, j’ai écouté mon cœur et nous avons passé de merveilleux moments.
La dernière fois où l’on s’est vu, c’était chez lui, rue d’Auge. Il avait une chienne : Éoz, pour le contraire de Zoé. On s’est retrouvé à la gare, près de personnes de la rue qui m’ont parlé quand je patientais. Un retour à notre rencontre deux ans auparavant. Chez lui, c’était un petit appartement, aux meubles de récupérations encombrants et aux tentures de couleurs chaudes en guise de rideaux. Le canapé était pris par le chien, alors nous nous sommes assis sur le lit. Un dessin animé passait à la télé. Il m’a regardé et m’a dit qu’il me trouvait très jolie. Je portais une robe bleue qui avait était remarqué un peu plus tôt dans la journée, puisqu’un jeune homme dans une belle voiture noire m’a salué sur la route. Nous avons parlé de son ordinateur, je devais l’aider à installer certains logiciels afin qu’il soit optimisé, puis il m’a montré un projet de tatouage qu’il voulait se faire dans le dos. Il en avait déjà un sur l’avant-bras droit : le nom de sa fille. Son projet était ambitieux : il voulait représenter les moments clés de sa vie par des symboles. Je me souviens de la rose au milieu de tous autres symboles. Il voulait que je me charge de le dessiner. Quand j’ai quitté son appartement, vers trois heure du matin, il a insisté pour me raccompagner, car le quartier de la gare est dangereux pour une fille seule. Avec lui et son chien, un boxer croisé beauceron, je n’avais rien à craindre. Il voulait de donner une bombe au poivre pour repousser les hommes suspects qu’il m’arrivait de rencontrer, comme le Serbe Fernando que j’ai mis du temps avant de m’en débarrasser.
Lorsque j’étais au lycée, j’ai eu une pensée, béguine sur le coup :
« Je rencontrais un jeune homme, Bastien, en Normandie. Le jour de notre rencontre, je portais un imperméable blanc. Nous sommes sortis ensemble et un jour, son frère, Romain, m’apprenait la terrible nouvelle. »
Cette pensée s’est réalisée avec David. À la fin du mois de novembre 2013, son frère, Yoann, a annoncé la nouvelle. Je lui ai écrit quelques mots, mais je n’ai pas été capable de lui dire qui j’étais pour David. L’enterrement, début décembre s’est fait sans moi. Je ne suis venue sur sa tombe que quelque temps après. Le fait de voir la plaque « À mon papa adoré » m’a permis d’identifier la sépulture.
Le déni devait se finir, David se trouvait là, sous mes pieds, froid et silencieux.
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