La lune s'est échappée de la Terre.^{©Ce texte est protégé par un copyright.}

Âge d'or.

Heureuse en son sein, la Lune vivait dans la Terre, ne formant qu'une communauté siamoise joyeuse, brouillonne et bouillonnante.
La Lune, éternelle insatisfaite, contemplait pourtant, nez en l'air, le ciel vide et ses lointaines lucioles.
Elle disait : « Là-haut, parmi les étoiles, dans ce vaste espace, je pourrais illuminer les nuits ! Et moi aussi, je pourrais créer d'autres mondes, porter des germes d'arbres, de Prunus et d'hibiscus ! Faire naître un éternel printemps, comme ici ! »
On lui disait : «  N'as-tu pas peur d'être seule là-bas et de ne recevoir jamais, comme ici, des bribes de cellules pour recréer la vie, la joie, le bonheur ? »
Elle, têtue optimiste, répondait en tapant du pied : « Si, j'y arriverai ! On raconte que la vie, poussière du cosmos, est venue d'un lointain inconnu. J'attendrai, et il viendra, attiré par mon halo ! »

Temps de l'Apocalypse.

Alors, un jour, eut lieu un immense déchirement, un grondement souterrain terrible, qui fit trembler les quatre coins des vents et tempêter tous les éléments : la Lune s'arracha au pétillant carnaval de la Terre, laissant des océans béants et des gouffres terribles. D'immenses vagues ravagèrent les continents adjacents.
Chez les deux sœurs, les volcans à ciel ouverts ont craché, longtemps, des lames de laves douloureuses venues du fin fond de leurs cœurs désunis.
La Lune n'était plus qu'un métal en ébullition, en rouge fusion fissurée. Mais elle était bel et bien parvenue là-haut, indépendante, dans le grand ciel noir des possibles.

Âge d'airain.

Puis, le temps a passé.
La Terre a recouvert de lierre ses cicatrices. L'érosion a apaisé le cataclysme.
Fière, la Lune s'affichait désormais seule dans le ciel, illuminant chez sa sœur le toit des fourmis, des paradisiers et autres palétuviers.
Oui, sa face portait les stigmates de la catastrophe ; mais tous l'admiraient pour son courage.
Or, elle n'avait pas voulu voir d'abord, mais elle n'avait plus ses belles couleurs terrestres : elle était devenue grisâtre. Sa surface était sèche et des craquelures avaient atteint des profondeurs impalpables.
Elle était suspendue sans Pierrot, sur un fil effiloché par-dessus ses rêves vides.
Qui plus est, son sein resta stérile : nulle pousse, nulle plume ancestrale magique ne parvint jusqu'à son coin de néant.
Elle en oublia un jour les motifs de son départ.

Âge de glace.

Heureusement, en son noyau givré, elle pouvait se rappeler la Terre. Elle revoyait les fleurs multicolores... les galets dorés au fond d'imprévisibles torrents... les prairies ondoyantes sous le vent ... Elle riait même parfois en repensant aux bonds des chevreuils sur les chemins !
Elle avait bien essayé de revenir vers sa sœur, mais tous ses mouvements la laissèrent loin d'elle, repoussée par une force mystérieuse et plus puissante que sa volonté.

Elle commença alors son inlassable ronde.