le passeur de mots
(La métaphore du métier à tisser est inspirée par une légende Dogon)
À chaque levée du jour
Ravauder les lambeaux effilochés de la nuit,
Reconstruire mon cœur, mon corps et mes pensées
Qu’elle a démantelés.
Quand se meurt la fleur de nuit
Nait la fleur de soleil.
Suspendu hors de mon sommeil,
Je regarde dormir les villes,
J’écoute respirer les hommes.
Je règle mon souffle sur
La respiration profonde de la terre.
Elle porte l’empreinte du silence écouté
Des poètes qui se sont tus.
Homère, Shakespeare, Hugo, Baudelaire, Verlaine,
Rimbaud, Supervielle, Claudel
Et vous tous, enchanteurs des mots
Je vous révère !
Vos paroles, lumineuses sphères, rebondissent !
Ciel, terre ; terre, ciel !
Je les saisis au vol,
Les pose sur mon cœur, au cœur de mon cœur,
Sur ma voix, sur sa portée.
Je suis le passeur de mots
Poètes, vous êtes ses Tisserands !
File, file la parole !
Votre métier à tisser est une bouche ;
Sa navette, une langue ;
Son peigne, des dents ;
Sa poulie, des cordes vocales.
Au plus profond des temps
Grincement de la navette,
Crissement de la poulie se font
Paroles divines.
La première étoffe tissée d’ombre et de lumière
Jamais ne doit être coupée.
Les fils s’entremêlent,
Révèlent leur sens aux hommes
Dans les motifs du tissu du verbe,
File, file la parole
Sur les âmes et les envole !
Poètes, qui enfantez les mots,
Je suis le messager de vos enfants de papier,
De nuages !
Je prends soin d’eux, je les protège.
Je deviens leur voix de chair,
J’en fais l’offrande.
Avec humilité, avec respect
Je pénètre leurs univers irrévélés.
Je les rejoins à leur source mystérieuse, inspirée.
Je touche leurs racines, je les recrée.
Vos œuvres m’emportent dans la contemplation et la joie,
Elles qui confèrent la pureté et l’infini de l’absolu
A ce qui est fini et illusoire.
Les transmettre, les partager
Avec celui qui ne peut lire comme avec celui qui le peut,
Avec celui qui les connait
Comme avec celui qui, inconsciemment, les espère.
Telle est ma tâche.
Je suis le passeur de mots.
Intransigeance, violence, brûle le feu de la terre.
Inégalité, injustice, s’essouffle le cœur de la terre.
Je clame : tolérance ! Solidarité !
Bienveillance ! Liberté !
Qui s’étendent jusqu’à la démesure
Pour attester la force et la valeur de leurs noms.
J’invite à la douceur et à la compassion,
A ne jamais oublier que
Nous sommes l’autre et qu’il est nous.
Je psalmodie le chant de la paix,
Je me fais l’écho de son appel qui enfle
De par le monde bouleversé,
De sa mélodie si claire et si près de mourir.
Telle est ma tâche.
Je suis le passeur de mots.
Le marcheur du vent.
Ma voix s’abandonne sur les roselières
Qui frissonnent à la lisière de l’eau
Et délivrent le silence.
Il se glisse entre leurs froides tiges,
Enlace les mots, les sculpte,
En dénude les secrets.
Je connais le silence dérobé
Au bruit et au mouvement de plein jour,
Celui des maisons qui conte leurs histoires,
Celui qui se fait cri au-delà du cri,
Larme au-delà des larmes.
Le silence m’est pause sur mes chemins,
J’y suspends mon pas, y pose mon esprit
Et ma réflexion.
J’y doute puis reprends force.
Je suis le messager du silence fertile
De basilique ombreuse et de lisse océan.
Mon souffle n’ose effleurer
Leur immobilité limpide.
Recueilli au-dedans de moi
Dans sa vastité lumineuse
Comme ailes déployées
Je dis le silence et son envol.
Je suis le diseur de silence
Aout 2011
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