Plaza de la encarnación©Ce texte est protégé par un copyright.
Pour 1€ elle n'a qu'un banal "café", un mot très facile à prononcer mais guère idéal quand on doit faire la sieste. Elle lutte jusqu'au retour du garçon lequel repart presque aussitôt, son plateau vide à la main, sans un mot, hélé des quatre coins de la place par des clients rendus très excités par l'apparition du soleil, cet astre égaré dans l'hiver.
Sur le bord de la soucoupe ébréchée, un petit étui en papier attire l'attention de notre héroïne. Encore du sucre ? À le tâter - mmm ta peau massée par les grains ! - il n'en est rien. Elle l'entaille d'un coup de canine sec et en sort une pastille couleur chocolat. Premier contact physique. Ça ne sent rien ! Pourquoi un tel culte autour du chocolat ?
Déçue, elle le colle sur son palais d'un coup de langue agile ; elle le met de côté pour plus tard, si plus tard elle rouvre les yeux. Épuisée elle porte alors la tasse à ses lèvres puis savoure son café noir sous le soleil. Ce dernier caresse sa peau hâlée et la berce quand elle sombre enfin.
Au réveil, les cafetiers auront rentré les parasols, dégainés à la hâte quelques heures plus tôt. Les chaises en plastique aussi, sauf une. Les tables enfin. Les clients auront cessé leurs chants éraillés et la mitraille de leurs paumes. Tous auront déserté, sauf elle. Se croira-t-elle morte, du moins sera-ce la nuit ?
Avant de desceller les paupières, elle profitera de ce flou fugace, de ces fragments de secondes où l'on ignore où l'on se trouve, où l'on se trouve à ignorer. Retour désévanescent au pays de la conscience. Le jugera-t-elle en ruines ?
Afin de se prouver qu'elle vit, elle calera sa langue sous les arêtes coupantes de ses dents serrées. Afin de se désengourdir, elle la laissera errer dans sa bouche langoureuse... jusqu'au contact avec la pastille oubliée. D'abord elle la prendra pour un aphte gigantesque. Elle se dira qu'il suffit de le triturer et ainsi sentir le goût du sang dans la bouche avant que le goût - ce sens lent et tranchant - ne s'exprime. Un plaisir crescendo. Un plaisir inattendu. Un plaisir indicible quoi que la résurgence d'un souvenir bien précis ne l'enrichisse d'un mot : chocolat.
Elle décidera d'épargner sans relâche des 1€ en vue des prochains rituels. En connaître le fin mot en accroîtra sûrement la saveur.
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