présentation du poète breton (entre autres)JP Nedelec
Yvelinopréface
"L'unique de cet instant et du moi qui l'enregistre, comment n'en rien perdre ?" se demandait André Hardellet. "Dès que me vient l'esquisse d'une phrase, j'en admets l'inaptitude à capter l'exception de l'instant", semble déplorer Jean-Pierre Nedelec dans un poème de "Notes pour Eros". Expression chez les deux auteurs de la même urgence : capter l'instant. Bien saisi, celui-ci aimante les mots et prolifère, il suffit parfois d'une note hâtive, pas forcément le premier vers, pour polariser les particules des temps errants. "Notes pour Eros" rassemble une suite de textes en prose dont le style élève et magnifie les moments de tendresse, d'empathie, aussi bien que les moiteurs les plus salaces, écriture hautement fignolée pour une éthographie poétique du sexe et de l'amour.
Les poèmes de "l'Eurovélojournal" maraudent en d'autres terres lexicales et syntaxiques, la langue parlée et le mode impératif du titre donnent le ton : "T'occupe..." Ainsi la suite ne craint pas les apocopes trampolines (v'z'en doutez bien), les mots classés grossiers ; on appréciera l'art de la prétérition dans : "Je ne parle pas c'est inconvenant du trouduc / ce coquinet..."
Quand par nature les contraintes s'imposent, J-P Nedelec prétend se les accorder, n'est-ce pas là le vrai luxe insolent ? Les contraintes de l'effort et des distances pour « penser libre » (et hop !), crever la perspective immobile - déjà le lointain médite - ; au retour, contraintes d'écrire les verticalités du temps. Il ne s'agit donc pas ici de poésie du sport, la douleur, les muscles, la fatigue restent allusifs, pas de performance. Je pense à une poésie de l'errance hantée et émerveillée, ce qui n'exclut pas l'humour de mêler, par exemple, Sade au martyre de Justine de Padoue, ni celui de l'autodérision : "Je me baffe me sens con morveux existentiel". Quels que soient les lieux, surgissent les silhouettes d'écrivains, peintres, sculpteurs, musiciens, ombres historiques... Ainsi Joyce, quelque peu dépité, déambule toujours dans Trieste, "Ulyssemapomme" repère Sylvia Beach dans le sillage ; attention, vers Sigmaringen, aux postillons de Céline, aux miasmes des complots des zombies en exil ; à Mauthausen, la lumière décharnée interdit la faim ; d'étape en étape, apparitions fugitives mais lumineuses de Verdi, Rilke, Rabelais, Giotto, Montaigne... avec une tendresse particulière pour la culture slovène (Salamun, Pahor). Le cyclochemineau le sait et l'affirme : c'est l'enfance, aussi, qui hante et trépigne, fugue ; le vide en soi ouvre l'espace à l'étonnement d'être, émerveillement en puissance. Comme le regard d'enfant peut rendre légendaire le moindre caillou, redoutable une rancune de corneille , celui du cyclovagabond, s'il a dépassé la candeur, n'en conserve pas moins la faculté de révéler ; du réel à l'émotion, de l'émotion aux mots, des mots au poème s'élaborent ce que Chambelland appelait les mythes personnels, parmi lesquels, le mythe fondateur : "l'amythié". J-P Nedelec en cherche encore LE poème. Mais peut-on - et faut-il - unifier et fixer ce qui en soi peut prétendre à quelque vertu poétique? Aussi ne nous privons pas de tirer l'oreille de l'instant, ce galopin métaphysique, capter la part de sacré d'un accueil, d'une trinquée de cognac, d'un sourire, d'une brise de jupette, d'un saignement de string, l'essence de la hauteur dans l'envol d'un héron, la sinuosité du mystère dans la couleuvre (Celle de Cingria, autre grand cyclovagabond, était châtelaine.) ; aucun doute, les doigts d'archange se font parfois pinces à linge de petite culotte...
France, Italie, Slovénie, Hongrie, Autriche, France, 4500km en 2007, rien que pour le plaisir, insiste J-P Nedelec dans un de ses courriels. Creuser l'espace c'est ouvrir la liberté de vivre l'anaphore de la volupté (p.15)
Il n'est pas prouvé qu'Athéna ait favorisé le retour fruité d'Ulyssemapomme. Pénésaprune n'attend pas près d'un tapis de haute lisse, il n'est pas roi d'Ithaque, mais il a sans doute dans les rétines et les carnets ce qu'il faut pour être le roi éphémère de ses hasards.
Jean-Michel Robert
Il ne faut pas trois tours de pédalier
Et hop ! tu penses libre
L'ardeur des collines l'ennui généreux des marais
Muscle à peine tiède
Tu sais que ton départ s'enroule déjà
Dans l'écharpe du retour
« un voyage de mille lieues a commencé par un pas »
Lao-Tseu
*
Pour une lumière dans l'œil doit-on mentir
Aux enfants ? Se parer d'aventure
Quand nous savons que le désir ne dure
Que le temps d'un faux martyr ?
*
Qui vous réserva ce décor d'opérette ou de péplum ?
plus qu'y enfouir vos erreurs votre folie vos crimes
- et cette fuite est-elle le moindre ?-
vous y tramiez encore vos complots imbéciles
bien qu'arrosée par le Danube la roche
de Sigmaringen est prussienne
exit le mensonge altier des héros
un château avant l'autre LFC postillonne
et se sait indigne d'Ubu
*
Quel but a tout cela ? se demandent
Ces dames et je ne sais qu'invoquer
Dame ! l'errance vaut--elle pensée ? offrande
Au vide en soi ? enfance convoquée
*
Qu'Ulysse rêvât d'Ithaque
Voilà bien une légende
Pas plus sot qu'un autre il savait
Qu'au panier du départ il faut marier
- aussi percé qu'il soit- celui du retour
Mais lequel ?
Sous la paupière Calypso règne encore
Et le conduit dans la grotte d'avant sommeil
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