So Long Goodnight©Ce texte est protégé par un copyright.
La vie mérite d'être vécue, m'a dit un jour mon ami. La vie, est un cadeau que l'on reçoit, et que l'on doit apprécier - c'est la moindre des choses, putain, fallait que j'arrête de faire le con dans mon coin, et que je m'aère de temps en temps ! Il m'a jeté un regard amusé, mais je savais que mon état le peinait. Qu'y a-t-il de mal à aimer être seul ? A ne pas vouloir se fondre parmi des pseudo-amis plus hypocrites les uns que les autres ? Enfin, Frank, au moins, était là pour moi.
Je lui rendis son regard. Ses yeux gris riaient, comme toujours. Il était mon exact contraire : toujours joyeux, optimiste. Trop optimiste, d'ailleurs, il me tapait souvent sur les nerfs, à relativiser chacune de mes mauvaises passes. Mais, aussi exaspérant qu'il pouvait être, il était là pour moi. Et il n'avait pas tord ; mon esprit commençait à puer le renfermé. Lui rendant toujours son regard, je me penchai vers son visage et l'embrassai.
Cela faisait trois ans que nous vivions ensemble. Je n'étais jamais à l'aise en public, mais les regards discrets et légèrement surpris des gens que nous croisions le rendaient radieux. J'ai toujours admiré chez lui sa façon de balancer son homosexualité à la gueule des passants, juste pour voir leurs réactions. Juste pour les classer dans ses catégories de passants. Il y avait les passants qui chuchotaient, ceux qui feignaient de nous ignorer, ceux qui nous dévisageaient, ceux qui nous saluaient, et cætera.
La vie mérite d'être vécue, qu'il avait dit. Je secoue la tête, essuie mes larmes, et le regarde. Il est allongé sur son lit d'albâtre, miroir du bois de sapin qui l'attend. Sa divine poitrine se soulève lentement, accompagnant les bips incessants de la saloperie de machine dont l'unique fonction, à mes yeux, est d'émettre un bruit chaque fois que le cœur défaillant de l'homme que j'aime se contracte.
Cheveux grisonnants et cours, peau légèrement ridée, blouse blanche. L'homme, encadré par ses diplômes accrochés au mur, me parle. Il m'explique, en parfait héraut du capitalisme, que l'offre est inférieure à la demande. Que Frank, étant de ce rare groupe sanguin qu'est l'O négatif, a très peu de chances d'obtenir sa transplantation suffisamment tôt. Il ajoute, histoire de remuer le couteau dans la plaie de mon âme, que la seule façon de le sauver est de demander à un quidam de type O moins d'offrir son cœur à mon ami. Je suis de type O moins.
Je ne croie pas que la vie mérite d'être vécue, mais je crois en la souffrance, et en ce qu'elle peut faire de nous. Je crois que, dans certains cas, une vie peut être sacrifiée pour le bien d'une personne aimée. Je retourne dans la salle où Frank dort. Je croise des gens flous qui me parlent en silence. Je m'assoie à coté de mon Ange et lui prend la main. Oui, je crois en la souffrance
et c'est pourquoi j'attendrai à ses coté, dans cette pièce, que cette foutue machine cesse d'émettre ses bips à la con. Je place des écouteurs dans ses oreilles, et mets "So Long Goodnight", des "Eighties Matchbox". Ça a toujours été son morceau, lui qui s'amusait à critiquer la précarité des relations hétéros. No stars are shining down upon my sorry head, and in the morning I will be gone and I'll leave you here for dead. Il me semble le voir sourire un instant en entendant ces paroles. Courage, merde ! Bientôt, il ne souffrira plus.
Commentaires (4)
Pas juste de faire ressentir ce malaise,en tout cas bien décrit. Alors que la vie à deux est toujours belle à vivre.
On pourrait relativiser un peu en disant que tout dépend de ce que l'autre recherche au travers de son "sacrifice": est-ce une véritable preuve d'amour ou un besoin de reconnaissance de cet amour ?
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