Sylvestriades©Ce texte est protégé par un copyright.
De ce gland freluquet tombé à terre suis né,
Chétif et à la merci du premier chevreuil !
Bien camouflé, je réussis à bourgeonner.
Il fallut cependant que Dame Nature le veuille
Et fasse de moi un chef-d'œuvre couronné.
Gracieusement sur mes branches les gais écureuils
Folâtrent. Fines et pointues, leurs griffes me chatouillent.
Ils sautent, virent, pirouettent, s'esquivent en un clin d'œil,
Glanent mes fruits et dans mes racines farfouillent,
Cherchant de subtiles cavités qui les accueillent.
Mes voisins élancés rivalisent d'envergure,
S'étirant, toujours plus haut, vers le firmament,
Là où la lumière d'or en fusion transfigure,
Où règne la seule vérité, pur filament
Posé sur la forêt, sylvestre chevelure.
Toutes mes saisons m'ont fait roi de la forêt.
Des breuils touffus, surgissent le lynx, le chevreuil,
Les biches apeurées. Loin des dangereux guérets,
Elles se dérobent et trouvent un répit sous mes feuilles,
Allaitent leur faon titubant sur leurs frêles jarrets.
On m'a parlé d'étendues d'eau à l'infini,
Et d'îles mystérieuses et de montagnes immenses,
De ciels céruléens et de lunes d'or bruni,
De nuits bouleversées où s'abîment les offenses,
D'humaines fourmilières où règne la cacophonie...
Un voile de brume s'effiloche et s'effrange,
Fantomatique, suscitant d'illusoires images
Où festoient et s'endorment les fragiles mésanges.
S'y attardent volontiers les jolis plumages
De rouges-queues, de pies-grièches qu'un rien dérange.
J'aime la nuit quand scintillent les étoiles...
Elles me sont si souveraines couronnes de gloire
Où s'ébattent les sylphides drapées dans leurs voiles.
Juchées sur mes branches en guise de balançoire,
Espiègles, mutines, adorables, elles se dévoilent.
Puis vient l'automne et ses pluies d'or échevelées,
Emouvante cascade de feuilles en agonie,
Pourpre diadème d'une auréole acidulée,
Abandonnée à l'hiver sans acrimonie,
Dans l'attente d'une blanche parure ocellée.
Dans mon écorce rugueuse, prospèrent tant de bêtes ;
Mes frondaisons bourdonnent d'un millier de soupirs...
Ma cime est un miroir où s'abreuve le poète.
De ses tristes semblables il espère repentir,
Mais de cette race veule ne naissent que Tempêtes.
Aujourd'hui, des fourmis à deux pattes sont venues.
Je frémis sous leurs coups redoublés. J'ai si peur !
Avec de grands « han ! » cruels, ils me mettent à nu.
Et je sens que je tombe et je sens que je meurs.
Le soleil peut se coucher, car je ne suis plus...
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