Un cochon bleu
George se tourne vers moi et me fait un clin d'œil. Le prof, au tableau, est en train de dessiner un cochon - avec la craie bleue - pour illustrer son cours. Le moment est idéal et mon voisin de table s'apprête à se lever pour aller faire une connerie. J'ai une étrange sensation de déjà-vu. Je ne me rappelle pourtant pas avoir eu ce cours lors de ma première année de fac. George se lève doucement. Il va encore essayer de m'impressionner. Je crois qu'il m'aime bien. Bien, ou peut être plus.
Je dois reconnaître que ses yeux verts ne me laissent pas indifférente... Enfin. Je sors de ma rêverie et m'aperçois que le sujet de mes pensées se trouve à présent à un mètre cinquante du dos du prof. Toute la promo est silencieuse, attendant impatiemment la suite des évènements. Il fait un pas en avant. Une craie de couleur rejoint le réceptacle prévu à cet effet. Un tintement métallisé, et rien de plus.
Aujourd'hui, à dix heures trente-sept, George a sous-estimé la vitesse à laquelle notre prof de biologie pouvait dessiner un cochon bleu particulièrement détaillé. Je marche donc seule avec Ed, son ami, le sac plastique à la main. Nous rentrons habituellement tous les trois ensembles, mais je n'ai pas envie d'attendre la fin des deux heures de colle qu'a reçues George. J'ai mon cours de piano ce soir, et il est déjà dix-sept heure quarante-cinq. Si je me débrouille bien, je devrais avoir cinq minutes de retard. Dix, tout au plus.
Il fait nuit depuis plusieurs heures. Mon corps gît sur le ventre, la joue gauche sur la route. Les flots de ma naïveté s'écoulent lentement de mes jambes écartées, se mélangeant à l'écarlate né de mon flanc droit. Les gouttes de mon désespoir ont depuis longtemps cessé de fleurir sur mes yeux. A l'esprit, le regard extatique d'Ed. Ses yeux, et rien de plus.
Puis la lumière. Blanche. Aveuglante. Salvatrice. Assaillant sans vergogne mes tympans. Ma main, dans un geste purement mécanique, éteint le radio réveil. Il est six heures trente. J'essaie de me rappeler le rêve que je viens de faire. Je n'arrive pas à m'en souvenir. Je ne revois qu'un cochon bleu. Rien de plus.
Je prends un rapide petit déjeuner. Le doux bruissement des céréales m'amuse toujours autant. Ma mère me demande, en rentrant de la fac, de lui faire quelques courses. Elle me note la liste des articles que je devrais lui acheter et me la tend. Je finis mon verre de jus d'orange. Je n'ai pas très faim ce matin. Un bol de céréale, un verre de jus. Pas plus.
Il est dix heures trente-cinq. George se tourne vers moi et me fait un clin d'œil. Le prof, au tableau, est en train de dessiner un cochon - avec la craie bleue - pour illustrer son cours.
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