vacances
vacances (premier jour)
Comme, depuis les années 80, j'ai publié pas mal et que ma situation pécuniaire est grisâtre, la Société des Gens de Lettres et le Centre national du Livre m'ont accordé une bourse grâce à laquelle je me suis payé trois jours de vacances (10 ans sans vacances), rue Daguerre, village auquel il ne manque qu'une église et une mosquée (mais elles n'ont pas l'air de manquer aux promeneurs et promeneuses). J'ai regardé de loin le bistrot à vin où le journaliste et éditeur Alfred Eibel nous avait conviés, Yves Martin, Christian Bachelin, Dominique Joubert et moi. Pleine page avec photo dans le Quotidien de Paris. Axisteplus. Je pense à eux, avant de me rendre à Nogent/Marne où le grand poète Michel Merlen m'attend : je vais lire mes textes à la Maison des Artistes. Accueil adorable. Puis retour. A l'hôtel, avant de m'endormir, malgré la beauté de la Maison des Artistes, malgré son magnifique parc, je sais que je ne serai jamais vieux. J'appelle pour qu'on me réveille à six heures.
(deuxième jour)
vacances (2)
Deuxième jour. Rendez-vous avec Josette, amie que je n'avais pas vue depuis sept ans, depuis la sortie des oeuvres complètes de Georges Henein (éditions Denoël). Bistrot La Liberté, Boulevard Edgard Quinet, Josette est ponctuelle. J'apprécie. C'est si rare les gens qui scrupulent de faire attendre. Comme je connais les alentours, je lui propose de déjeuner une choucroute à la terrasse d'un petit restau honnête. Comme il tombe une pluie mesquine, la serveuse un peu maman s'inquiète pour notre santé. Nous n'avons pas le choix : nous fumons, et en profitons avant qu'on nous chasse comme des chevreuils surnuméraires. Jean-Pierre Martinet, Henri Calet, Yves Martin... Josette est leur amie, nous en parlons, prière sans dieu, juste des saints errant de péchés en merveilles, de merveilles en mémoire.
Après le dernier verre de riesling, je lui propose de péleriner le parcours que je sinuais au temps des vivants : rue Bréa, traversée des jardins du Luxembourg. Bassin à qui j'autorise sans honte de refléter les nostalgies sans pudeur. Rue Racine. Ex-librairie Le Pont de L'Epée. Alain Breton est là, Alain de qui je lus jadis les belles anthologies : "La vraie jeune poésie", "Les nouveau poètes maudits", "Les poètes et le Diable"... Alain Breton fils de Jean, Jean qui me fut toujours chaleureux et qui, avec Serge Brindeau publia en 1964 "Poésie pour vivre, manifeste de l'homme ordinaire", ouvrage capital qui, beau paradoxe, attise l'extraordinaire que recèle tout humain. Alain qui reste tel qu'en lui et en eux-mêmes : revue "Les hommes sans épaules". Le bureau a changé de place, il empêche d'accéder aux livres rayonnés, ce qui contrarie fort Josette qui eût volontiers émietté ses doigts en feuilletages... Voronca, par exemple. J'achète le beau livre de Janine Magnan : "Le ciel s'envoie en l'air"*, pièce dont toutes les voix sont celles d'Yves Martin. Un trésor*. Je me rappelle, elle, Janine et sa caméra, était-ce à la signature de "Mr William" ou à celle de "Soeur, gymnaste"d'Alain Simon ? Je ne sais plus. Tu me l'aurais dit, Alain, si je pouvais encore cailleter avec toi une nuit de webcam : "Chut, moins fort, ça dort chez moi".
Rue Gay-Lussac, nous savourons une bière. En 68, Josette y était "Comme une fille / La rue s'déshabille / Les pavés s'entassent / Et les flics qui passent / s'les prenn' dans la gueule" (Léo Ferré). J'eusse aimé avoir dix-huit ans en cette année, mais, plus jeune que Josette, en ce magnifique mai (j'avais 12 ans), je faisais du sport...et étais amoureux de Geneviève. Un jour, ou peut-être une nuit, je vous raconterai comment Josette fut jugée en comparution immédiate parce qu'elle figurait sur une photo pas loin d'un suspect... histoire de situer la France sur la carte des droits humains. Histoire.
* Editions Librairie-Galerie Racine
(à suivre : Troisième jour,"La Butte-aux-cailles, derniers Communards".
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