Chien jaune©Ce texte est protégé par un copyright.
Germain Poulard était surtout connu dans le village sous le sobriquet de "Simplet" . Pourtant il n’avait rien d’un simplet lorsqu'il embarqua avec d’autres appelés du contingent sur le bateau qui allait les conduire en Algérie. Ce magnifique pays devint vite un enfer pour ces jeunes soldats mal préparés ; dans les premiers jours, son meilleur ami fut tué accidentellement par un instructeur ivre. Mais ce qui lui fit perdre définitivement la raison, fut le massacre de ses camarades : capturés, torturés, émasculés, puis achevés par les fellaghas...
Rendu à la vie civile, il demeura chez ses parents jusqu’à leur mort à un mois d’intervalle en 1974 ; il en hérita de la maison délabrée bâtie sur un grand terrain bordant la forêt. Pour subsister il louait ses services dans les fermes avoisinantes, cultivait son jardin et élevait des volailles. Un samedi matin alors qu’il s’occupait de ses tomates, il vit sortir du bois un énorme chien, une sorte de dogue aux poils mi-longs de couleur jaune. L’animal qui devait peser au bas mot soixante dix kilos se rapprochait de lui, Germain remarqua que le chien avait le museau et la face rouge de sang. A deux mètres de l’homme le molosse s’immobilisa en grognant, ses babines retroussées découvrant des crocs d’une taille impressionnante. Tout autre que Germain aurait fui, mais lui au contraire s’avança vers le dogue qui ouvrait une gueule béante, à cet instant il aperçut un gros os cassé enfoncé verticalement dans le palais du canidé, sans hésiter il glissa la main entre les dents puissantes et retira l’os, le chien hurla de douleur mais ne referma pas les mâchoires. L’homme fit signe au mâtin de le suivre, le chien jaune obtempéra, ils empruntèrent la porte arrière de la maison pour entrer dans l’unique pièce qui faisait office de chambre, cuisine et salle à manger. Il ouvrit le garde-manger, en sortit un poulet qu’il offrit à l’animal, la bête ne se fit pas prier et se coucha dans un coin pour le croquer. Le chien ayant terminé se leva pour partir, Germain s’avança avec l'idée de le caresser, son regard rencontra alors celui du molosse, il s’arrêta net, une inquiétante lueur dans les yeux du dogue lui glaça le sang… L’animal se dirigea vers la porte arrière, manoeuvra la poignée avec sa patte, puis écarta la porte pour sortir, Germain le regarda regagner la forêt...
Les jours puis les semaines passèrent, " Simplet " avait remarqué que "chien jaune" comme il l’avait baptisé, ne répondait jamais aux appels qu’il pouvait lancer, mais curieusement, chaque fois qu’il ouvrait le garde-manger à la nuit tombée, la bête entrait dans la maison et attendait sa pitance. Germain se procurait de grandes quantités de viande pour animaux, il expliqua au boucher qu’il avait adopté un chien qui mesurait près d’un mètre de haut, mais personne au village n’avait jamais vu un tel animal et l’on ne le croyait pas, persuadé que c’était lui qui mangeait les abats. Un matin, Germain découvrit les restes d’un berger allemand dans son jardin, puis dix jours après, une moitié de mouton, il enterra les cadavres sans se poser de questions. Les villageois ne parlaient plus que d’une chose : des promeneurs venaient de retrouver le corps d’un chasseur disparu depuis un mois, les gens affirmaient même qu’il lui manquait des membres… Tout ce remue-ménage n’affectait pas Simplet qui continuait sa vie tranquille avec pour compagnie l’étrange bête. Le soir, il parlait au gros chien, lui racontant sa vie, puis quand il se rendait compte que l’animal était parti, il se couchait. Qui était le maître, de l’homme ou du molosse? difficile à dire, mais cela dura presque deux ans…
En ce début septembre, Germain resta quatre jours cloué au lit avec de la fièvre. Dans la nuit du cinquième, il entendit la porte de devant s’ouvrir, puis un faisceau lumineux balaya la pièce du sol au plafond, pour finir sur le lit, remontant jusque sur le visage de "Simplet " qui s’était redressé. Aussitôt une douleur sur la tête lui fit perdre connaissance… Il se réveilla les poignets attachés, aveuglé par la lampe torche que son agresseur dirigeait sur lui. Le rodeur hurla : " où est planqué le fric ! ", Germain ne dit rien, tremblant de peur, alors l’inconnu se déchaîna contre lui avec les poings et les pieds, insensible aux cris de sa victime. Comment aurait-il pu cacher de l’argent, lui qui n’en avait jamais eu… Les coups redoublèrent et se firent plus violents, maintenant il ne criait même plus, sa tête balançant au gré des chocs, puis elle s’inclina les yeux grands ouverts pour ne plus se relever...
Le voleur entreprit une fouille méthodique des lieux, vidant tiroirs et armoires, allant jusqu’à éventrer une commode dont il suspectait un double fond. Mais le butin cette fois était maigre, quelques babioles et de la menue monnaie. Déçu, l’homme décida de partir, mais sur le seuil il se ravisa : il avait oublié une cachette utilisée par les personnes âgées… Il se dirigea vers le garde-manger, l’ouvrit, dehors la lune était pleine et sa clarté éclairait légèrement la pièce, brusquement la porte arrière de la maison grinça…
Le lendemain matin, Emile Buffard, cultivateur au bourg voisin frappa chez Germain avec l’intention de lui régler les petits travaux qu’il avait effectués pour lui. N’obtenant pas de réponse il poussa la porte, "Simplet", prostré, le visage tuméfié, était assis sur son lit un lien entravant ses mains. Les secours furent très vite sur place, pendant que Germain était évacué vers l’hôpital, les gendarmes remarquèrent des traces de sang sur le sol, elles les menèrent jusqu’à l’escalier de pierre qui descendait à une petite cave où Germain entreposait ses pommes de terre. La maison étant dépourvue d’électricité, c’est à la lumière d’une lampe de poche qu'un des représentants de l’ordre descendit les marches, ce qu’il trouva en bas le pétrifia d'horreur : un homme gisait là, étendu sur le dos, la gorge déchiquetée, le visage et les mains comme dévorés…
"Simplet " ayant totalement basculé dans la folie fut interné d’office dans un hôpital psychiatrique. Bizarrement l’enquête ne livra aucun indice, et le dossier alla rejoindre les étagères poussiéreuses des affaires classées .
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