Ils me dévisagent. Nombreux sont ces connards, venus assister à ma chute. Assis en cercles, ces maîtres de l'hypocrisie me toisent de leur regard hagard. D'un autre coté, je ne peux que les comprendre : à leur place, je serais aussi venu assister à mon procès.
Le juge énumère alors les charges qui pèsent sur moi. On me considère, semblerait-il, comme quelqu'un de laxiste, d'irresponsable, n'ayant pas pu prévoir les conséquences de son Acte. S'ils savaient la vérité, je me demande comment ils réagiraient... Rares sont ceux qui accepteraient une telle idée, perdus qu'ils sont dans les méandres de leur esprit tellement inférieur... Ceux qui pourraient y croire mettront tout en œuvre pour le réfuter : certains faits ne peuvent tout simplement pas être acceptés.
Ainsi, après avoir douté pendant plusieurs siècles de mon existence, ils se retrouvent, de haut de leur humanité décadente, à me juger. Le juge vient de terminer la liste de mes torts, le débat commence. Nous sommes en 2134 après mon prétendu-fils, et ces mal-baisés de français me nomment encore Dieu.
Aujourd'hui la question est de savoir comment ils vont me faire payer mon flagrant manque d'intérêt pour la Terre, que j'aurais créée, selon eux, dans cet endroit précis ? perdu dans les plis du voile délavé de l'univers ? dans un but précis. Manque d'intérêt pour leurs gueules, manifestement. Ces imbéciles ne peuvent supporter l'idée qu'on se désintéresse d'eux, il semblerait que ce soit passablement néfaste pour leurs égos. Ils ne manquent pas d'air ; à peine ils réussissent à se convaincre de mon existence qu'ils trouve le moyen de faire descendre mon divin postérieur ici-bas, en face de ce putain de juge, entouré de ces putains de spécimens, si fiers d'être nés humain. Ils ne m'agacent plus, ils m'écœurent. Je les abhorre. Puis aujourd'hui, je suis de mauvaise humeur. On m'a dit qu'il fallait que je vienne ici ? qui donc m'aura dit ça ? Je n'arrive plus à m'en souvenir... ? Que c'est pour mon bien, qu'il parait. Mon cul, oui ! Faut savoir accepter ses chimères... Merci bien, mais je n'en ai pas la moindre intention.
Je vais révéler ma vérité à ces enfoirés d'humains. Je vais leur expliquer, le plus posément possible, que cette personne que nombre d'entre eux ont vénérée depuis tant d'années, est complètement folle. Puisque oui, je suis fou. Divinement fou, me direz-vous ? Pas vraiment, non.
Car, n'en déplaise aux athées qui prétendent que mon existence n'est qu'une invention humaine, je suis indéniablement la cause de leur existence. J'ai créé cet univers, dans ses grandes lignes et dans ces détails, je l'ai réalisé, je l'ai vu se développer, évoluer, progresser. Je l'observais, m'en amusais, jouais avec et l'étudiais... En rêve. Ce monde onirique, tellement jouissif en premier lieu, n'a jamais existé ; cette douce toile astrale n'est que le fruit de mon esprit détraqué. Et ces humains - damnés soient-ils - ont eu, par je ne sais quel prodige, conscience de l'existence du créateur du songe qui leur sert de vie. Et les croyants, dans leur dévotion aveugle, me rendaient fous. Et les athées, par leur propos blessants, me déprimaient. Et les agnostiques, doutant de mon existence, me peinaient, moi-même doutant de la leur. Et toutes ces saloperies d'hommes, quelques soient leurs opinions sur la question, m'attristaient et me faisaient sombrer dans l'océan de ma folie, folie qu'ils peuplaient négligemment.
Et cette vaine espèce est à présent là, devant moi, à me regarder, ne sachant comment réagir face à ces mots. Et, pendant la fraction de seconde qu'il leur faut pour encaisser le coup, pour la première fois depuis leur création, je les aime. Ils ont tous, sans exception, cette expression atterrée et innocente qui leur faisaient tant défaut. Ils prennent conscience des limites de leur entendement. Puis, l'incrédulité s'envole, faisant place à leur détestable étroitesse d'esprit.
Le juge prononce quelques mots.
Il lève son marteau, dans l'évident but de clore ce détestable procès.
- Vlan ! -
J'ouvre les yeux. L'oniroscope, posé à un mètre et demi du divan sur lequel je suis allongé, n'émet plus aucun son. Je transpire, et m'empresse de sortir des draps dans lesquels je dormais. Ma joue me brûle. Mon psy me regarde, furieux de mon incapacité à écouter ses conseils :
- Nous ferons mieux lors de votre prochaine séance.
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