équilibre des comptes dévisagés
Je suis surendetté, lendemains obérés: dettes de visages.
Même grands ouverts sur le monde - celui qui balade proches et lointains, constances et fugacités -, les yeux se doublent en leurs coulisses et captent le regard des autres, lequel scrute, fixe, perce, aveugle, couve et louche le mien. Ce n'est parfois qu'un frôlement de coïncidences, de lumières distraites, alors qu'ailleurs, en d'autres temps, les microcollisions de leurs couleurs cribleraient d'invisibles iris. Leur étonnement écarquille les pénombres, leur oblicité filtre les rêves torves.
Je dois aux visages leur crédit de nudité; maquillages, moues calculées, tentatives de chichis, de sourires, de fossettes faussaires ne sauraient les vêtir bien longtemps. Les visages sont toujours nus, et la pâleur les hante, quelles que soient leur peau et leur pilosité. Je leur dois la sédimentation des face-à-face, de ce que je crus être en eux pour ne plus ressembler.
Le lisse et le ridé des fronts confient au mien leur fièvre. Je dois aux visages d'apprendre - de leurs lèvres - les cueillettes, les hold-up fruités; je leur dois que le parfum touche les doigts et invente les paumes; que les joues et les paupières se boivent, que le menton protège la migration des nids; j'apprends de leurs cils le passage de ma peine, et, de leur barbichette, la grâce du fou rire...
Ainsi, il me faut au plus vite prendre toutes mesures pour la rigueur et l'apurement des comptes. Je vais émettre des bons du trésor de croire encore; je vais semer des éphélides en fertilité des terres nostalgiques, instaurer l'octroi à l'entrée des grimaces, y compris des drôles; je patente l'ironie des miroirs ainsi que toute profondeur inversée; je vends les bijoux de famille des nez rutilants; je dépose ma collection de pattes d'oies au Mont-de-Piété...
Sûr que, demain, je décrèterai une nouvelle gabelle - les larmes et la sueur, débordements prometteurs -, la dîme sur les clins d'oeil, la taxe Eustache sur les regards entendus...et, surtout, oui, l'épargne, les économies... Il faut de toute urgence économiser les cris d'âme sans voix, sans gestes, à la lumière des espérances de bouts de chandelles.
Ce texte figure dans la sélection de Hypolaïs Polyglotte
Commentaires (2)
Les deux cousinages me touchent: celui d'Antoine Pol dont le recueil de poèmes fut repéré par hasard par Brassens chez un bouquiniste. Brassens chercha à le contacter pour l'autorisation de l'interpréter. Trop tard: Marcel Pol venait de mourir, totalement inconnu. Et ce vieux Charlie, bien sûr: "Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!"
commentaire
Généalogie fictive au demeurant un peu inutile.
Suis d'avis que le cours des regards en bourse est pour toi plus côté que celui du blé...
HypoPo